L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, en vigueur depuis le 1er octobre 2016 mérite d’être analyser sous le prisme du statut dérogatoire des baux commerciaux.
L’ordonnance réforme en profondeur le droit commun des contrats. Exception faite de la modification de l’article L145-41 du Code de commerce relatif aux clauses résolutoires, elle ne modifie pas directement le statut des baux commerciaux. En revanche, elle introduit des nouveautés qui sont susceptibles d’avoir des effets à titre supplétif sur ce statut, des effets qu’il faut désormais intégrer tant dans la phase de négociation que dans la phase d’exécution du bail.
Sans nous livrer à un commentaire exhaustif de cette ordonnance, un certain nombre de points méritent une analyse particulière sous le prisme du statut des baux commerciaux.
Application de la loi dans le temps (1), la phase de négociation et de formation du bail commercial (2) et la phase d’exécution du bail (3).
1. Application de la loi dans le temps
L’ordonnance organise l’application de la réforme dans le temps. Prévoyant une entrée en vigueur le 1er octobre 2016, le texte précise que les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne. Toutefois, les actions interrogatoires en matière de pacte de préférence (C. civ. Art., 1123, al. 3 et 4) de représentation (C. civ., Art. 1158) et de purge de nullité du contrat (C. civ. Art., 1193) sont en vigueur depuis le 1er octobre 2016.
En revanche lorsqu'une instance a été introduite avant l'entrée en vigueur de la présente ordonnance, l'action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne. Cette loi s'applique également en appel et en cassation (ordonnance n° 2016-131, 10 fév. 2016, Titre IV, art. 9).
Ainsi, si le bail est conclu ou renouvelé avant le 1er octobre 2016, alors les nouvelles dispositions ne s’appliquent pas, même si la date de prise d’effet du bail ou du renouvellement est postérieure au 1er octobre 2016. En revanche, si le bail est renouvelé après le 1er octobre 2016, les nouvelles dispositions s’appliquent et ce même si la date de prise d’effet du bail renouvelé est antérieure au 1er octobre 2016.
De la même manière, s’il y a une fixation judiciaire du loyer après l’entrée en vigueur de l’ordonnance, les nouvelles dispositions s’appliquent.
2. La phase de négociation et de formation du bail
2.1. Devoir d’information et obligation de confidentialité
Les articles 1112-1 et -2 précise le devoir d’information et le devoir de confidentialité.
En effet, le cocontractant qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre est tenu de l’en informer dès lors que légitiment que ce cocontractant ignore cette information quoique ce devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation… (C. civ. Art., 1112-1). On peut s’étonner de cette limite, mais on notera à tout le moins qu’elle permet le jeu de négociation sur la fixation du loyer, dans un contexte législatif qui tend à restreindre la liberté contractuelle avec un encadrement de plus en plus stricte de la valeur de la prestation (voir sur ce point l’encadrement des charges imposés par les articles L. 145-40-2 et R. 145-35 du Code de commerce).
En tout état de cause, les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir d’information, le manquement à ce devoir étant susceptible d’entraîner l’annulation du contrat et s’analyserait dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants relatifs aux vices du consentement.
Ce devoir d’information est contrebalancé par son pendant, l’obligation de confidentialité à laquelle est tenue le cocontractant qui ne peut ni utiliser ni divulguer, sans autorisation préalable, une information confidentielle à l’occasion des négociations sous peine d’engager sa responsabilité (C. civ. Art., 1112-2). Par prudence, on veillera à préciser clairement que l’information transmise est « confidentielle » pour éviter tout débat.
Par ailleurs, en matière de baux commerciaux, on soulignera que le Preneur sont aujourd’hui destinataires d’un nombre important d’informations non confidentielles puisque, selon les cas, le Bailleur est tenu de remettre différents diagnostics (DPE, DTA, ERP, Annexe verte,…) et de déclarer si l’immeuble a été affecté de sinistres ayant donné lieu au versement d’une indemnité au titre de l’assurance des risques de catastrophes naturelles ou technologiques.
2.2. L'offre et l'acceptation
Conformément à la jurisprudence en vigueur, les articles 1115 et 1116 précisent que l’offre, en pratique, souvent matérialisée par la lettre d’intention (LOI, dans le jargon), peut être librement rétractée tant qu’elle n’est pas parvenue au destinataire, au-delà, elle ne peut être rétractée qu’à l’issue d’un délai raisonnable. En pratique, il est recommandé de préciser un délai dans cette lettre d’intention, car, bien que pendant ce délai, toute rétraction est en principe interdite, au-delà l’offre devient caduque (C. civ. Art., 1117).
Toutefois, les textes prévoient désormais que la rétractation de l’offre en violation de l’interdiction empêche la conclusion du contrat, de sorte que si la violation de cette interdiction engage, bien entendu la responsabilité de son auteur, elle n’a pas pour conséquence de l’obliger à compenser la perte des avantages espérés par le destinataire de l’offre (C. civ. Art., 1116, al 2 et 3).
Concernant l’acceptation, on rappellera à toutes fins utiles que le silence ne vaut pas acceptation, à moins qu'il n'en résulte autrement de la loi, des usages, des relations d'affaires ou de circonstances particulières (C. civ. Art., 1120).
3. La phase d’exécution du bail
3.1. Le contenu du contrat
L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 a précisé le statut de la représentation des parties, notamment par l’introduction des articles 1153 à 1161 du Code civil qui conduiront les rédacteurs à porter une attention particulière à l’identification des parties en présence.
Elle est également venu préciser le contenu du contrat.
3.1.1. Bail commercial et contrat de prestations de services
En matière immobilière, la pratique consistant à combiner la fourniture de prestations de services à la mise à disposition de locaux tend à se développer dans les centres d’affaires. Et c’est précisément dans une telle hypothèse que le nouvel article 1165 mérite un intérêt particulier.
Art. 1165.-Dans les contrats de prestation de service, à défaut d'accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d'en motiver le montant en cas de contestation. En cas d'abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d'une demande en dommages et intérêts.
Lorsque la relation contractuelle des parties s’organise autour d’un contrat de prestations de services, le créancier est libre de fixer le prix à charge d’en motiver le montant en cas de contestation avant l’exécution de ces prestations. En effet, en pratique, la fixation du prix avant la réalisation d’une prestation peut s’avérer délicate. Parfois, le prix ne pourra être fixé qu’a posteriori, lorsque les parties seront en mesure d’apprécier la valeur de la prestation réalisée, partant, elle ne pourront pas solliciter la révision judiciaire.
En cas d’abus dans la fixation de ce prix, l’utilisateur devra se retourner vers le juge vue d’obtenir une réparation en dommages-intérêts.
La notion de « contrat de prestations de services » n’est pas sans poser de difficulté. Elle n’est pas définie par le texte qui la distingue seulement de la notion de contrat de fournitures de biens (C. civ. Art., 1127-1). Il semble que le législateur ait voulu ériger un concept nouveau par cette notion (v. LARDEUX G., Le contrat de prestation de service dans les nouvelles dispositions du code civil, D. 2016, p. 1659).
Il est encore difficile à ce stade de mesurer l’importance de ce concept. Il faut attendre les éclaircissements jurisprudentiels pour en saisir la portée. Les contours de cette notion pourraient intéresser non seulement les contrats de fournitures de services combinés à un bail commercial ou à un BEFA, mais également les hypothèses de mise à disposition de locaux à titre précaire que les parties intitulent parfois de « contrats de prestations de services réciproques » (v. pour une illustration suivie d’une requalification en bail commercial, Civ. 3e, 19 novembre 2015, n° 14-13.882, F-D, Sté VR Services c/ Sté Dukan de Nitya, Lexbase hebdo, éd. affaires, n° 450, 14 janv. 2016 ; n° Lexbase : N0882BWL, obs. Prigent J.; Civ. 3e, 3 décembre 2015, n° 14-19.146, FS-P+B, Sté B & B Paris c/ Sté Baccarat, D. 2015. 2559, obs. Rouquet Y. ; Lexbase hebdo ; éd. affaires, n° 450, 14 janv. 2016 ; n° Lexbase : N0888BWS, obs. Brignon B. ; Aix-en-Provence, 11e ch. A, 20 octobre 2015, n° 14/04383, SCI Eurobul c/ SA Sita Sud, Loyers et copr. 2015, comm. 250, note Chavance E. ; Kendérian F., RTD Com. 2016, p.47).
3.1.2. Substitution d’indices de référence
Par ailleurs, l’article 1167 pose un principe intéressant. Son intérêt est sans doute plus évident en matière de baux d’habitation qu’en matière de baux commerciaux.
Néanmoins, il pose un principe susceptible de s’appliquer à titre supplétif aux baux commerciaux, soit lorsque les parties n’auront pas prévu une clause pertinente sur ce point, soit lorsque l’existence d’un bail commercial sera la résultante d’une requalification judiciaire.
Art. 1167.-Lorsque le prix ou tout autre élément du contrat doit être déterminé par référence à un indice qui n'existe pas ou a cessé d'exister ou d'être accessible, celui-ci est remplacé par l'indice qui s'en rapproche le plus.
L’article 1167 consacre un courant jurisprudentiel déjà ancien (Civ. 3e, 22 juill. 1987, n° 84-10.548). Ce faisant, il s’inscrit également dans la ligne de l'article 6: 107 des Principes du droit européen des contrats qui dispose que «Lorsque le prix ou tout autre élément doit être déterminé par référence à un facteur qui n'existe pas ou a cessé d'exister ou d'être accessible, celui-ci est remplacé par le facteur qui s'en rapproche le plus.» tranchant dans les atermoiements jurisprudentiels puisque certaines décisions refusaient radicalement la substitution d’un indice valable (Com., 16 novembre 2004, n° 02-15202, RTD civ. 2006. 117, obs. Mestre J. et Fages B.).
3.1.3. Le déséquilibre significatif dans les contrats d’adhésion
En introduisant l’article 1171 dans le Code civil, l’ordonnance réputent non écrites les clauses abusives dans tous les contrats d’adhésion.
La sanction des clauses n’est pas nouvelle mais c’est une nouveauté en revanche qu’elle soit désormais inscrite dans le Code civil et érigée en un principe destiné à sanctionner toute clause abusive dans tous les contrats d’adhésion tels que définis par le nouvel article 1110, alinéa 2, du Code civil.
Art. 1171.-Dans un contrat d'adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.
L'appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation.
Art. 1110, al. 2- Le contrat d'adhésion est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l'avance par l'une des parties.
La rédaction de l’article 1171 est générale. Le texte a donc vocation à s’appliquer à tous les contrats sans restriction pour autant qu’il n’y ait pas de règles particulières qui s’imposent (C. civ. Art. 1105, in fine). Ainsi, sont susceptibles de tomber dans le champ de l’article les clauses des baux commerciaux dès lors qu’elles ne seraient pas réglementées et dès lors que le bail considéré pourrait être qualifié de contrat d’adhésion (v. Barbier J.-D., Application du nouveau droit des contrats aux baux commerciaux : le contrat d’adhésion, Gaz. Pal., 5 juill. 2016, p. 55).
Aux termes de l’article 1110 alinéa 2 du Code civil, le bail commercial pourra être qualifié de contrat d’adhésion dès lors que l’une des parties se sera vue imposer des conditions générales. Par suite, toute clause créant un déséquilibre significatif entre le bailleur et le preneur sera réputée non écrite.
Ce nouveau régime est susceptible d’intéresser le preneur qui se serait vu contraint d’accepter des conditions générales non négociables pour accepter des conditions particulières plus ou moins habillement négociées.
En pratique, si les bailleurs auront intérêt à se ménager la preuve de l’existence de négociations préalables sur l’intégralité des conditions générales, les utilisateurs auront quant à eux intérêt à ouvrir l’œil sur toute clause susceptible de créer un déséquilibre significatif et qui n’aurait pas fait l’objet d’une négociation préalable.
3.2. L'interprétation du contrat
La jurisprudence bien établie selon laquelle le bail s’interprète en faveur du preneur devra désormais être combinée avec les dispositions des articles 1190 et 1191 du Code civil qui prévoient, d’une part qu’en cas de doute, le contrat de gré à gré s’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, le contrat d’adhésion s’interprétant quant à lui contre celui qui l’a proposé, et d’autre part, lorsqu’une clause est susceptible de deux sens, celui qui lui confère un effet l’emporte sur celui qui ne lui en fait produire aucun.
3.3. La force obligatoire du contrat
Dans un monde économique incertain, la réforme se veut sage et propose de prendre en compte l’imprévisibilité du futur. A ce titre, l’article 1195 prévoit que si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui, par hypothèse n’avait pas imaginé à la date de son engagement, cette partie sera fondée à solliciter de son cocontractant une renégociation du contrat.
En cas d’échec de cette renégociation, le loi confère au juge le pouvoir d’immixtion dans le contrat puisqu’il a désormais compétente pour réviser le contrat voire d’un mettre à la date et aux conditions qu’il fixe.
Les dispositions de l’article 1195 du Code civil ne sont pas d’ordre public, les parties pourront donc y renoncer.
3.4. De la résiliation du bail commercial
En matière d’obligations de sommes d’argent, l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 a créé un article 1343-5 qui confère au juge le pouvoir d’accorder un calendrier de paiement au débiteur dans la limite de deux années et de moduler les intérêts produits par les sommes dues, ces décisions suspendent les procédures d’exécution éventuellement engagées par le créancier. Ces dispositions sont d’ordre public.
Le cadre législatif des baux commerciaux fait expressément à ce pouvoir élargi du juge puisque l’article L. 145-41 qui régi les clauses résolutoires stipulées dans les baux prévoient que le juge saisi d’une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peut accorder des délais au locataire et suspendre la réalisation et les effets de la clause de résiliation sauf décision de justice contraire et ayant acquis l'autorité de la chose jugée. Favorable à la seconde chance, le Cade prévoit que la clause résolutoire ne joue pas, si le locataire parvient à se libérer dans les conditions fixées par le juge.
07/06/2019
DB
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